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Art et identité latino-américaine

lacasalatinaaix

Dernière mise à jour : 16 avr. 2022


Cet article se propose de revenir sur le rôle de l’art dans l’émergence puis la consolidation d’une identité latino-américaine. Tout un programme pour lequel je m’appuierai sur les travaux d’une critique d’art reconnue pour ses travaux sur l’art latino-américain : Marta Traba (1930-1985).


Si après la colonisation européenne l’Amérique Latine obtient une certaine “indépendance” politique, une forte influence étasunienne se fait vite ressentir dans tous les pans de la société, y compris le secteur artistique. Au début du XXe siècle, l’art pictural latino-américain ne semble être qu’un prolongement des mouvements artistiques européens et étasuniens. Cette influence est telle que Marta Traba la qualifie “d’ordre artistique néocolonial”. C’est dans ce contexte qu’éclate une crise identitaire contestataire menée par les artistes latino-américains. Au delà de la seule rupture vis à vis de l’influence européenne et nord américaine, la production artistique latino-américaine va contribuer à redessiner et à incarner une identité culturelle qui lui est propre.


Émergence d’une conscience collective latino-américaine

Face à l’importance de cet ordre artistique néocolonial, Marta Traba identifie deux moments de contestation. D’abord, la naissance puis le développement de l’art moderne des années 1920 aux années 1950 permet de manière générale une plus grande liberté et un affranchissement des normes institutionnelles, ce qui va donc naturellement se ressentir dans l’art latino-américain. Plusieurs mouvements venus de l’étranger ont alors un fort impact sur la conscience collective latino américaine comme l’impressionnisme ou le cubisme qui mêlent influences étrangères aux éléments typiquement latino-américains. Mais c’est avec des mouvements nés en Amérique Latine que va réellement se développer une conscience collective. On pense évidemment au muralisme mexicain (je vous redirige vers l’excellent article de notre ancienne vice-présidente, Laura Féret).

Peut-être moins connu du grand public, le mouvement anthropophage au Brésil qui va aller plus loin dans la recherche d’une expression latino-américaine a également eu un impact qui mérite d’être souligné. Ce mouvement revendique une "transculturation” par le cannibalisme : le cannibale, en dévorant les cultures, se les approprie. Ce mouvement se voit comme une renaissance de la pensée nationale en prenant racine dans son histoire primitive régionale pour ainsi récupérer ses origines. L’image de l’anthropophagie est alors utilisée comme symbole dans la libération de la dépendance artistique et culturelle européenne et étasunienne et dans la construction de leur identité culturelle. En témoigne le croquis “Nuestro norte es el sur” (1936) de Torres Garcia qui vise à renverser la vision du nord comme seul pôle attractif du continent américain.



Influence artistique étasunienne : entre soumission et résistance

Selon Marta Traba, une deuxième transformation radicale se serait établie dans les années 1960 et 1970. L’exportation du pop art, mouvement typiquement étasunien et symbole suprême du consumérisme et du libéralisme, est qualifiée de nouveau “coloniaje estético” par la critique. Les artistes latino-américains vont adopter si rapidement ce mouvement sans le remettre en question que Marta Traba considère que ce phénomène est une démonstration de la soumission de l’Amérique Latine à un “système de civilisation” dont la diffusion serait en réalité une expansion impérialiste. L’art, au contact de ce “cheval de Troie” serait alors appauvri et vidé de sa substance.

Mais, face à cette satellisation vis à vis des États-Unis, se développe une résistance des artistes latino-américains qui vont incorporer à leurs œuvres des éléments typiquement latino-américains. On retrouve également des détournements de certains mouvements qui seront décontextualisés et réappropriés. Prenons l’exemple de l'œuvre de Beatriz Gonzalez qui se réapproprie le mouvement du pop art et par lequel elle dénonce les histoires et discours fallacieux et va mettre en lumière des héros nationaux. Ces mouvements ouvrent ainsi la voie à une libération culturelle parallèle à une consolidation de l’identité latino-américaine par le biais de l’art. C’est la théorie de la résistance développée par Marta Traba.


Un art latino-américain ?

La question de l’identité latino-américaine a longtemps été au cœur des préoccupations des artistes du sous-continent. Déjà depuis la fin du XIXe siècle, la question identitaire ¿quiénes somos? est présente chez de nombreux critiques, écrivains… Généralement, cette définition de soi était faite par assimilation ou opposition à un “autre” (européen ou étasunien donc) qui correspond en fait aux principales tendances de l’art latino-américain : absorber les mouvements étrangers ou trouver des voies artistiques propres pour s’en dégager. L’apport principal de Marta Traba dans cette étude est l’établissement de “zones artistiques” géographiques en Amérique Latine au milieu du XXe siècle. Elle distingue les zones fermées ou résistantes où la création artistique parvient à garder son indépendance et son identité propre dans chaque région tout en incorporant des éléments de modernité. En opposition, les “zones ouvertes” assimilent les modèles européens et considèrent que la perte d’identité favorise l’entrée de l’Amérique Latine dans l’art moderne.


Face aux influences étasunienne et européenne, les artistes latino-américains ont développé des stratégies de résistance qui ont parallèlement contribué à l’émergence puis à la consolidation d’une identité latino-américaine. L’art tient, encore aujourd’hui, une place primordiale dans la défense d’une identité propre qui peut par exemple s’incarner dans la popularité du reggaeton.



Maëlle Hédouin,

Présidente



Pour aller plus loin :

Arte e identidad en América Latina https://www.youtube.com/watch?v=LKPziMcmz-E

Crises de l’art moderne latino-américain, 1920-1980 : le rôle de Marta Traba dans la rupture et la recherche d’un nouvel ordre artistique, Elsa Crousier https://journals.openedition.org/cher/3757#tocto1n3

 
 
 

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