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Retour sur Les Sorcières d'Akelarre

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Le 25 août dernier est sorti dans les salles françaises Les Sorcières d’Akelarre (Akelarre) réalisé par l’argentin Pablo Aguëro. Le film revient sur le fait authentique de la chasse à la sorcière avec un parti pris moderne, critique et féministe assumé.


Dans le Pays-Basque du début du XVIIe siècle, six jeunes filles sont accusées de sorcellerie et jetées au cachot après avoir participé à une fête jugée énigmatique et étrange. À force d’accusations infondées, de persécutions et de mauvais traitements Ana prend les choses en main. Puisqu’on refuse de les entendre, la jeune femme tente de manipuler les fantasmes et croyances du juge pour gagner du temps et éviter le bûcher. Commence alors un périple de séduction et de manipulation au goût de sang et de révolte.



Afin de mieux comprendre la démarche du réalisateur, il me semble pertinent de revenir sur l’origine du projet. En 2008, Pablo Aguëro tombe sur l’essai La Sorcière de l’historien français Jules Michelet (1862) à partir duquel il prend conscience de l’écrasante représentation des sorcières du point de vue des hommes et de l’Inquisition. Il imagine donc un scenario revenant sur l’une des chasses aux sorcières les plus importantes de l’histoire, celle du Pays-Basque français et espagnol débutée en 1609, depuis le point de vue des victimes. Si depuis quelques années, on observe la résurgence des mouvements féministes des sorcières et l’explosion de celles-ci dans la pop culture, ce scenario-ci a été pensé et muri pendant treize ans, lui conférant une dimension à la fois moderne et intemporelle.

Certains ont pu regretter que le film n’explore que le point de vue des victimes. Il est clair que celui-ci est très biaisé dans ses revendications féministes. En effet, une partie du film devient un huis-clos dans les cachots, avec pour seules protagonistes nos six “sorcières”, à aucun moment on explore les raisons de ces chasses aux sorcières...bref, aucune mise en perspective. Mais d’un point de vue personnel, il me semble plus que nécessaire d’explorer ce genre de points de vue pour tenter de contrebalancer l’omniprésence de représentations de sorcières qui, paradoxalement, excluent les représentations réalistes d’expériences féminines.


La forme complète incroyablement bien le fond. Une photographie et un jeu d’acteur exceptionnels renforcent la puissance dégagée par les jeunes filles. Si elles sont enfermées dans des cachots, elles luttent jusqu’au bout, prêtes à tous les sacrifices pour se libérer de l’oppression et de la domination masculines. Cette révolte passe notamment par le chant et la danse puisque, comme le rappelle si bien un protagoniste masculin “Rien n’est plus dangereux qu’une femme qui danse”. C'est d’ailleurs pour cette raison qu’elles sont arrêtées : parce qu’elles ont pour habitude d’oser aller danser et chanter dans la forêt sans -ô grands dieux- une présence masculine. Un chant va alors accompagner le spectateur pendant toute la durée du film dont les deux seules lignes résument la lutte par la manipulation des jeunes filles “Nous ne voulons d’autre chaleur Que le feu de tes baisers”.



En effet, le film traite la chasse aux sorcières par l’Inquisition comme un phénomène qui serait notamment animé par deux choses. La première est la fascination des hommes pour ces femmes "libérées" qui, par exemple, refusent de porter un voilage pour cacher leurs cheveux. On surprend alors des regards désireux posés sur des corps nus et lacérés. Les jeunes femmes vont ainsi tourner à leur avantage cette fascination pour des femmes sorties tout droit de l’imaginaire masculin pourtant porté sur des femmes bien réelles. Ana en particulier va manipuler les fantasmes que le juge porte sur les sorcières et même plus généralement sur les femmes pour éviter le bûcher. S’en suit des scènes aussi magnifiques que puissantes jusqu’à la grandiose “reconstitution” d’une scène de Sabbat.


Dans Les Sorcières d’Akelarre, la chasse aux sorcières résulterait également de la peur inspirée de ces femmes (et des quelques hommes et enfants) qui vivent en marge de la chrétienté. En effet, certains affirment que les prétendus akelarreak (sabats) ne seraient que des réunions festives organisées à l’écart des autorités civiles et religieuses. Ce phénomène serait particulièrement présent dans les régions côtières, là où les femmes se seraient défoulées après avoir assuré les tâches domestiques et publiques pendant l’absence des hommes partis en mer. Les chasses aux sorcières seraient alors un moyen de fixer une identité unique. Par exemple, dans le film les jeunes filles ont interdiction de parler la langue basque, considérée comme satanique, au profit de l'espagnol.


Finalement le long-métrage de Pablo Aguëro est une intéressante introduction au phénomène des sorcières qui tient une place particulièrement importante dans le Pays-Basque. La position de l’interprète de la grand-mère d’Ana, Jeanne Insausti, résume selon moi la situation : "Ce film me touche énormément parce que je suis Basque, et pour nous tout d'abord les sorcières ne sont pas méchantes ni maléfiques, ce sont des personnes sensibilisées par les soins, l'attention aux autres. Et ces femmes au Pays basque avaient leur place dans la société.". Les chasses aux sorcières du XVIIe siècle ont profondément marqué la culture basque. Il suffit pour s’en rendre compte d’aller se balader du côté de la frontière franco-espagnole et plus particulièrement dans le village de Zuggarramurdi où vous pourrez visiter la Grotte de l’Akelarre (la Grotte du Sabat), réputée pour avoir accueillie des réunions de sorcières qui aboutirent au célèbre procès par l’Inquisition à Logroño.


Il ne me reste pour vous convaincre d’aller découvrir Les Sorcières d’Akelarre qu’à ajouter que ce film est le plus primé d’Espagne en 2021, avec 5 Goyas (l’équivalent de nos Cesars) remportés pour le maquillage, les costumes, la musique originale, les meilleurs effets spéciaux et la meilleure direction artistique. Je le conseille en particulier à toute personne féministe, intéressée par le fait historique des chasses aux sorcières et/ou aux curieux simplement avides de superbes images du Pays-Basque. Bon visionnage !


Maëlle Hédouin, présidente

 
 
 

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