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Les élections présidentielles au Chili

L’élection présidentielle chilienne s’est tenue les 21 novembre et 19 décembre dernier afin d’élire le Président entrant pour un mandat de cinq ans qui débutera le 22 mars prochain. Avec près de 26% des voix au premier tour et plus de 55% des voix au second tour, Gabriel Boric est élu Président de la République en tant que candidat de la coalition de gauche et de gauche radicale Apruebo Dignidad. Il remporte ces élections face à José Antiono Kast, candidat d’extrême droite. Cette élection est qualifiée d’historique à bien des égards : particularité du parti, âge de la nouvelle figure présidentielle ou encore ouverture vers un Etat-providence.


  1. Un détour historique :

Afin de mieux appréhender la profondeur des enjeux de l’élection de G. Boric à la tête de la République chilienne, il convient de faire un petit détour historique.



Sans faire remonter l’histoire chilienne à son indépendance en 1818, partons de l’élection en 1970 du Président démocratiquement élu : Salvador Allende. Dans un contexte global de guerre froide où l’Amérique latine oscille entre le statut de chasse gardée des Etats-Unis et révolutions politiques, le Chili élit en 1973 Salvador Allende à la présidence. 3 ans après l’exécution de Che Guevara et 11 ans après la Révolution cubaine, l’idée d’un Président socialiste – et non communiste comme il a souvent été qualifié - au Chili déplaît à l’Oncle Sam. En effet, le projet de nationalisation des secteurs clés de l’économie et la réforme agraire fomente la polarisation politique internationale. A peine 3 ans plus tard, le 11 septembre 1973, un coup d’état mené par le Général Augusto Pinochet et soutenu par les Etats-Unis fait tomber le gouvernement de S. Allende en mettant fin par la même occasion à sa vie.

Commence alors près de 20 longues années de dictature militaire entre 1973 et 1990. Selon les chiffres officiels, la dictature aurait causé la mort de 3 000 personnes et la torture aurait été pratiqué sur 30 000 citoyens. La dictature chilienne est tristement célèbre pour sa cruauté : vol de bébés, recours à la disparition forcée, et collaboration avec d’anciens nazis réfugiés au Chili. Selon un rapport de l’ONU, « plus de 3 000 personnes ont été victimes d’exécutions politiques ou de disparitions forcées et le sort de plus de mille d’entre elles n’est toujours pas élucidé à l’heure actuelle ». En l’espace de 17 ans, Pinochet rassemble tous les pouvoirs entre ses mains, pratiquant une politique de plus en plus répressive tout en instaurant une nouvelle Constitution qui établit un modèle économique qualifié d’« ultralibéral ».

Les régimes post-dictatures se sont après succédés alternant entre les différentes tendances politiques mais en gardant un dénominateur commun : perpétuer voire renforcer le modèle néolibéral établi par la dictature du Général Pinochet. C’est en ce sens que la figure du Président entrant G. Boric préfigure un changement radical sur le plan économique et social.


2. La figure de G. Boric, un souffle de renouveau pour le Chili


G. Boric peut être caractérisé par deux traits : son jeune âge et sa volonté de rupture avec le passé. Du haut de ses 35 ans – l’âge minimum légal pour être élu Président de la République au Chili -, il est l’un des plus jeunes présidents du monde et le plus jeune président du Chili. Il y a 10 ans à peine, il étudiait à l’Université de droit de Santiago où il devient l’un des leaders du mouvement étudiant réclamant une réforme du système éducatif. Il est élu cette même année, président de la Fédération des étudiants de l’Université du Chili. A 27 ans, il dirige le parti Convergence sociale au Congrès.

Sa deuxième caractéristique est sa volonté de rupture avec le passé. Pourquoi s’agit-il d’un moment historique au Chili ? Pour la première fois depuis l’élection de Salvador Allende à la tête de la coalition d’Unité populaire, un véritable projet de transformation sociale accède ainsi au pouvoir par les urnes. Prenant le contre-pied des gouvernements socialistes de Ricardo Lagos (2000-2006) puis de Michelle Bachelet (2006-2010 et 2014-2018) qui se sont contentés d'administrer un modèle de développement économique hérité des années de la dictature, G. Boric semble présenter une réelle volonté de se débarrasser des vestiges du passé chilien.


Son engagement le plus symbolique en matière de rupture avec le passé est sans doute son rôle central dans la rédaction d’une nouvelle Constitution. Cette initiative rédactionnelle résulte d’un référendum initié en 2020 votant pour la réécriture de la Constitution chilienne, Constitution datant de la dictature (1973-1990). G. Boric jette un regard critique sur le concept de démocratie. En effet, il appartient à une génération née sous le régime dictatorial chilien et qui a grandi tantôt dans une période de transition démocratique, tantôt dans une démocratie. Le modèle économique établi sous la dictature a fait du Chili le pays le plus inégalitaire de l’OCDE avec une classe moyenne endettée pour payer les frais de santé, d’éducation et de retraite.


3. De nouvelles perspectives pour le Chili et l’Amérique Latine ?



Quelques jours avant le verdict électoral, une loi autorisant le mariage pour les personnes de même sexe était approuvée par le Parlement. Une avancée encore trop rare en Amérique latine où le mariage homosexuel est autorisé dans seulement 6 pays : l’Argentine, l’Uruguay, le Brésil, la Colombie, l’Equateur et le Costa Rica. Cette loi donnait déjà une tendance de la transformation sociale qu’allait connaître le Chili en élisant G. Boric comme Président.

Crise climatique, protection des droits des femmes, rédaction d’une nouvelle Constitution, défense de la cause indigène, prise en considération de la parole et des droits de la communauté LGBTQI+, instauration d’un accès gratuit et simplifié à la santé et à l’éducation sont autant de thèmes composant le discours de G. Boric. Rappelons que le pays a fait entendre sa voix en 2019 à travers des mouvements de protestations sociales généralisés afin d’exprimer son profond ressenti vis-à-vis des importantes inégalités sociales au Chili. Ayant pour point de départ l’augmentation des prix des services publics, le mouvement social témoignait en réalité d’une problématique plus large aboutissant sur un référendum le 25 octobre 2020 permettant la rédaction d’une nouvelle Constitution.

Devenu une figure fédératrice d’une société chilienne plus juste, G. Boric recoupe les principales problématiques des manifestations de 2019 dans son programme présidentiel. Il met ainsi l’accent sur la justice pour tous. Les minorités, les femmes, ou l’écologie forment parfois les grands oubliés d’un programme politique tourné d’avantage vers l’économie ou la démagogie. Lors de son discours du 19 décembre 2021, G. Boric se dit favorable à l’instauration d’un Etat-providence. Dans un pays considéré comme le laboratoire du libéralisme en Amérique Latine, G. Boric entend promouvoir une grande réforme fiscale afin de faire participer les classes aux revenus élevés à son programme sur trois points : la santé, l’éducation, et un nouveau système de retraite – aujourd’hui entièrement privé.

Serait-ce une ouverture sur les droits sociaux en Amérique Latine ? Là où le Nicaragua, Cuba, et le Venezuela voient l’arrivée d’une telle coalition au gouvernement chilien comme la possibilité de former de nouvelles alliances, les détracteurs latinoaméricains des partis de gauches y voient un potentiel danger pour la stabilité économique et sociale du pays, les comparant aux trois pays précédemment cités. Quoi qu’il en soit, G. Boric fait souffler un vent d’espoir sur le Chili après une crise sanitaire dévastatrice.

Alyssia Lefeuvre, Secrétaire


Pour aller plus plus loin :

Colonia Dignidad - Florian Gallenberger, 2015.

La dictature nous avait jetés là – Maria Poblete, 2018.



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