Depuis le 8 mars et jusqu’au 2 mai prochain, est proposée sur la plateforme Vortix l’exposition “Female Voices of Latin America” qui met à l’honneur plus de cent-cinquante artistes féminines vivantes venant de dix-neuf pays d’Amérique Latine. Cette exposition est la plus importante jamais réalisée avec des femmes artistes de cette région, groupe qui reste encore aujourd’hui sous-représenté dans le monde de l’art au niveau international. Quelques jours après la journée internationale des droits des femmes, c’est l’occasion de mettre à l’honneur trois femmes artistes d’Amérique Latine autres que Frida Kahlo, car oui ça existe.

On commence nos trois portraits avec la plasticienne péruvienne Teresa Burga. Oppression masculine, colonisation, dictature voilà quelques-uns des thèmes explorés par l’artiste. En 1967, elle lance le ton avec sa première installation qui entend dénoncer la perception des femmes comme objets de consommation, en interrogeant l’assignation de la femme à la sphère privée et plus largement les identités de genre. Et puis, elle développera son art dans un contexte autoritaire qui va profondément marquer son œuvre. Ainsi, elle dénoncera continuellement l’autoritarisme et la colonialité des modes de pensée et d’administration de son pays. Concernant sa pratique artistique, elle a toujours été précursrice en s’intéressant dès les années 1980 à l’émergence des nouvelles technologies à travers des happenings et des productions mêlant son, image et vidéo. En bref, une pionnière de l’art multimédia et de l’installation doublée d’une militante infatigable. Née en 1935, elle s’est malheureusement éteinte le 11 février dernier des suites du covid.

D’une femme incroyable à une autre, arrêtons-nous maintenant sur l’une des artistes les plus célèbres du Brésil : Lygia Clark (1920-1988). Elle est généralement associée au mouvement “néo-concret” qu’elle a cofondé avec les artistes brésiliens Amilcar de Castro, Franz Weissmann, Lygia Pape et Ferreira Gullar. Si dans un premier temps la peinture est au cœur de sa démarche artistique, elle va peu à peu s’en éloigner. Dès ses premières œuvres, entre 1955 et 1959, on devinait déjà une forme d’organicité qu’elle approfondira par la suite en explorant sa perception sensorielle à travers la création de sculptures et d’installations modifiables par le spectateur. Parisienne et enseignante à la Sorbonne dans les années 1970, elle développera des objets “relationnels” dans le but d'ouvrir les participants à la créativité, à l’expérience artistique et même à la connaissance de soi. Je vous parle ici d’une femme qui a véritablement transformé le rapport entre le spectateur et l’art. En effet, si la relation entre spectateur et œuvre était traditionnellement celle d’un sujet à l’objet, cette distinction disparait. Le spectateur devient alors le sujet de sa propre expérience au centre de l’œuvre elle-même. Génialissime.


On termine notre voyage –terriblement incomplet...- entre les portraits de femmes artistes d’Amérique Centrale et du Sud avec une dernière et pas des moindres Marisol Escobar, une artiste et sculptrice vénézuélo-américaine. Elle s’est très rapidement liée au pop art, influencée par des artistes comme Andy Warhol ou Roy Lichtenstein. Sa pratique artistique combine en réalité l’art populaire, le dadaïsme et le surréalisme tout ça sur fond de critique de la vie contemporaine. Alors même que dans le pop art la femme est presque systématiquement mère ou objet sexuel, Marisol Escobar transpire le refus de l’idée d’une existence et d’une pratique artistique relevant d’une espèce “d’essence féminine” ce qui peut être visible dans son œuvre à travers l’utilisation de matériaux bruts comme le plâtre ou le bois. Profondément féministe, l’artiste questionne régulièrement le rôle de la féminité dans des œuvres telles que Women and Dog (1963-1964) ou Le Parti (1965-1966). Satirique jusqu’au bout des ongles, elle y assume une féminité exacerbée afin d’en retourner son caractère oppressif : elle propose continuellement des sujets “féminins” capables de prendre le contrôle sur leur propre représentation. Cependant, son art a été déconsidéré car féminin au profit d’une “supériorité masculine” jusqu’à tomber dans l’oubli dans les années 1980. Pour finir en beauté, je vous laisse vous délecter de cet extrait de l’article Les figures féminines de Marisol de Whiting : “sans pop féminin, il n'y aurait pas eu de pop masculin en opposition ; sans la périphérie douce, il n'y aurait pas eu de noyau dur”. Mmm...
À l’heure où seules 10% des artistes récompensés sont des femmes (Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, 2018), il me paraissait important de mettre en lumières des artistes femmes absolument incroyables, tant dans leur pratique artistique que dans leurs engagements politiques. J'espère ainsi vous avoir fait découvrir quelques artistes terriblement inspirantes et pourquoi pas vous avoir intéressés à leurs travaux.
Maëlle Hédouin, pôle communication
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